0:5 - Le choix de la fin / Those nerds longed for the taste of other endings, and thus induced the movies.

Ouille ma têteLa célébrissime et hautement controversée fin d'Evangelion-la-série ne m'a pas déçu. Tout simplement parce que je savais d'avance que les deux derniers épisodes étaient... ce qu'ils sont  :) Et je ne me la jouerai pas hypocrite en vilipendant plus que de raison les spectateurs plus que déçus de cette conclusion déroutante (et ce malgré le pastiche de titre malicieux ci-dessus) Moi aussi, j'aurais attendu une apothéose et la révélation des mystères. Moi aussi, je serais tombé des nues en m'exclamant "tout ça pour ÇA ?!!!" dans un premier temps en tout cas, avant de reconsidérer le ÇA en question et finir éventuellement par l'apprécier. Ma curiosité indélébile aura eu le mérite de raccourcir le processus en en supprimant l'étape la plus douloureuse :)

Dérouté, on l'est, forcément. On a assisté à la montée en puissance d'une tragédie dont la sauvagerie inspire parfois le malaise, de concert avec des révélations qui ne font que susciter plus d'interrogations. Une tragédie culminant avec la fin du dernier messager, dans un épisode dont la maestria nous laisse sans voix. Tous les anges étant annihilés, il ne reste plus de place que pour l'Apocalypse, dans son sens populaire (la fin du monde) comme dans son sens véritable (la Révélation). De révélation, on n'en a qu'une seule, qui s'étale confortablement sur les deux épisodes ultimes : le fameux Plan de Complémentarité de l'Homme dont Gendô et les vieux croûtons monolithiques nous rebattent les oreilles depuis le commencement, et sur lequel ils ont de toute évidence des vues divergentes quant à la manière de l'exécuter. Ce n'est d'ailleurs qu'une révélation partielle : les épisodes finaux ne nous montrent rien des événements matériels, si ce n'est notre major Katsuragi adorée gisant abattue contre un mur de la Nerv (snirf !), le docteur Akagi marinant dans le LCL, la second children recroquevillée dans sa plug, et un Gendô vicelard déclarant à Rei que "le moment est venu". On suppose vaguement que puisque la Complémentarité est lancée, le Third Impact a lieu lui aussi, mais cela reste une conjecture. "L'action" se déroule essentiellement sur un plan psychanalytique, dans l'univers immatériel des introspections : les dilemmes de chacun y sont disséqués, de façon à ce que la nécessité de la Complémentarité apparaisse clairement. Notre brave Shinji se dévoue ensuite pour illustrer à lui seul son application, bien qu'il soit entendu que toute l'humanité y passe. L'ensemble constitue un mélange déconstruit de scènes passées, d'allégories et d'images live, qui consacre assurément Hideaki Anno comme un auteur véritable - sans ironie de ma part.

L'aspect factuel du Plan étant de la sorte occulté, on en viendrait presque à douter de la réalité des événements antérieurs, notamment quand survient la séquence illustrant un univers possible, où un Shinji encore un brin timide mais nettement plus... épanoui coule des jours paisibles entre une mère toujours attentionnée et un père à peu près potable, et où une Rei méconnaissable tient la dragée haute à une Asuka en danger de voir Shinji la délaisser pour plus chieuse qu'elle ;) Tous ces duels avec les Anges n'auraient-ils été que le produit onirique du cerveau névrosé d'Ikari-kun ? La réponse est non, heureusement, même si beaucoup l'ont interprété ainsi un peu hâtivement ! Reste néanmoins l'impression confuse que tous ces cataclysmes, ces assassinats, ces souffrances et ces morts n'avaient au fond rien de bien grave ; l'essentiel étant que Shinji se soit enfin décidé à briser sa coquille pour être heureux parmi les autres hérissons. Et après tout, pourquoi pas ?

De mauvaises langues diront que la notoriété d'Evangelion tient essentiellement à la polémique que sa conclusion a suscitée dans l'Archipel. En vérité, le phénomène est conséquent, au point que Claude Leblanc lui a consacré un chapitre de son Japoscope 1998, à propos de la culture otaku. Dans les faits, il semble que contrairement au grand-public qui aurait plutôt bien réagi, une catégorie d'animefans purs et durs et de professionnels se soit offusquée de ce que Anno laisse ainsi choir le drame, les questions et le barda ésotérique, en violation de toutes les règles communément admises. Des rumeurs - probablement fondées - de planning trop serré sur la fin et de budget raccourci ont fusé... Mais lorsqu'on a pris connaissance des intentions de l'auteur, la perspective est bien différente : selon Hideaki Anno, Eva s'est imprégné de ses propres phases dépressives d'otaku, caractérisées en particulier par un désir perpétuel de fuite, qui se reflète évidemment dans les personnages. Toute la série se ramène donc à une réflexion sur lui-même, le dernier épisode en livrant les conclusions ainsi qu'un message pour ceux qui se seraient reconnus dans les protagonistes. En ce sens, Evangelion constituerait bien le "piège à otaku" : l'animefan de la catégorie visée mord passionnément à l'hameçon du drame et des mystères, pour finir brutalement hors du bain devant un miroir qui lui assène le message de l'auteur dans tout son dépouillement (très grossièrement résumé en : Sortez de chez vous !). On ne s'étonnera donc pas des cris, trépignements et flames d'insultes qui s'en sont suivis, tant il est vrai que personne n'aime être mené en bateau, surtout pour se voir faire la leçon au bout du compte. D'autres qui ne se sentaient pas morveux mais ont tout aussi ardemment mordu y sont allés également de leurs plaintes à Gainax, parce que les séances d'analyse sur la chaise pliante, c'est bien, mais un peu d'action et de suspense, ça ne serait pas mal non plus, et avec de vraies réponses tant qu'à faire.

D'où les longs-métrages, petits réarrangements avec la fin, avec ou sans Anno, mais dans une optique clairement descriptive. Bien que demeurant, je pense, compatible avec la série, cette nouvelle fin est beaucoup plus sombre, voire quelque peu malsaine sur les bords (pour un plus ample commentaire de The End of Evangelion, voir la section spéciale 5-A). Les considérations philosophiques et humanistes de la fin TV, qu'on les trouve dignes d'intérêt ou complètement bidon, ont du moins le mérite de conclure sur une note optimiste, joyeuse même, et propre à nous consoler de cette menée en bateau (pas pour tout le monde, hélas). Non que je sois partisan du happy-ending systématique -loin de là ! mais en l'occurrence, puisqu'il s'agissait pour l'otaku Anno de dépeindre à travers Shinji son état et celui de nombre de ses spectateurs, ne valait-il pas mieux ouvrir à notre anti-héros une porte vers un avenir plus souriant, que de le laisser le nez dans le ruisseau ? Pour le reste, les questions, les mystères non résolus, autant les laisser à la discrétion des fans, qui se font un plaisir de confronter sans fin les hypothèses, entretenant par là-même la flamme d'un culte propre à satisfaire tout le monde : auteurs, spectateurs... et producteurs. Pour ma part, ayant été un X-phile modéré mais constant en dépit des manipulations douteuses de Chris Carter, j'aurais bien mauvaise grâce de mépriser l'audace rare d'un réalisateur réellement talentueux. Alors, à M. Anno comme à tous les (grands) enfants du monde, félicitations !

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